Pourquoi seuls les Danois rivalisent avec les joueurs asiatiques en badminton ?
Dans les compétitions internationales, les podiums sont généralement monopolisés par les joueurs chinois, indonésiens et… danois. Retour sur une «anomalie» sportive.
Météo et tradition
Le pays nordique fait figure d’anomalie dans ce sport : comment le badminton a-t-il pu autant se développer de manière isolée dans un seul pays européen ? Car derrière les Danois, il n’y a guère que l’Espagne qui s’incruste ces dernières années dans les palmarès avec sa championne olympique Carolina Marín, une exception elle aussi. En Chine, en Corée du sud ou en Indonésie, le badminton est inscrit dans la culture, pourquoi l’est-il aussi au Danemark ?
Le positionnement géographique du Danemark serait-il à l’origine de l’intérêt de ses habitants pour le badminton ? Le site local Jutland Station estime ainsi que la popularité du sport dans le pays serait due à la météo nordique difficile : le badminton se jouant en intérieur, il peut être pratiqué toute l’année. Mais pourquoi les pays scandinaves ne l’auraient-ils pas autant adopté dans ce cas ?
La réponse pour beaucoup, c’est tout simplement la tradition. Le Danois Peter Gade, vainqueur des internationaux de France en 2008 et quintuple champion d’Europe, a été nommé directeur de la performance à la Fédération française de badminton en 2015. Pour lui, «la tradition a créé de grosses structures qui permettent de créer des champions. Les enfants commencent à 6-7 ans au Danemark, et avec les structures et les connaissances importantes acquises, on peut voir loin et les amener au haut niveau.»
Avec 400 clubs et 78 000 licenciés pour 5,7 millions d’habitants, le gouvernement a aussi mis en place en 2015 le plan «Vision 25-50-75», qui vise à ce que la moitié de la population danoise soit inscrite dans un club de sport, et que 75% des Danois pratiquent régulièrement des activités sportives d’ici à 2025.
Cercle vertueux en France ?
Avec des champions locaux qui ont montré la voie depuis les années 40-50, les générations de petits Danois se succèdent et produisent, à chaque fois, des joueurs parmi les meilleurs mondiaux. La concurrence, rude dès un très jeune âge, les aguerrit, et ils vont ensuite se mesurer aux champions asiatiques de leurs jeunes générations. Actuellement, le numéro 7, Viktor Axelsen, est venu prendre la place de Jan O Jorgensen, champion d’Europe 2014 et actuel 27e mondial à 30 ans. Derrière, le jeune Anders Antonsen (21 ans et 19e mondial) vient déjà titiller Axelsen. Un simple cercle vertueux qui dure depuis longtemps donc.
Ce cercle vertueux, Peter Gade voudrait bien l’enclencher également en France. Le terreau est fertile : la Fédération française de badminton a doublé son nombre de licenciés depuis 2005 et compte ainsi plus de 190 000 fous du volant répartis dans 2 000 clubs. Avec la place prédominante du «bad» dans les sports scolaires, il y a de quoi faire. Le directeur de la performance de la FFBad reste prudent : «Je vois beaucoup de potentiel, mais il va falloir beaucoup de temps pour créer une vraie culture.» Aujourd’hui, le meilleur joueur français est Brice Leverdez, 30e mondial. Chez les femmes, personne n’a encore vraiment pris la suite d’Hongyan Pi qui, en 2009, avait remporté une médaille de bronze aux championnats du monde. La meilleure chance de victoire pour ces internationaux de France repose peut-être ainsi sur les épaules du double mixte Audrey Fontaine / Ronan Labar en double mixte, médaillé de bronze aux derniers Championnats d’Europe.
Pour créer un réel engouement, il faudrait de toute façon l’exposition accordée par les Jeux olympiques. En attendant, et avec Paris 2024 en ligne de mire, Peter Gade applique en France les recettes qui ont fait le succès du badminton danois. Le président de la fédération au moment de sa nomination, Richard Remaud, expliquait à l’époque que «le modèle danois peut s’adapter au nôtre alors que le modèle asiatique est trop différent». Selon Gade, le succès passera tout d’abord par un plus grand professionnalisme et une volonté de répéter les mêmes gestes inlassablement, tous les jours à l’entraînement. Pour le moment, les joueurs français n’y sont pas encore. A la culture du sacrifice total type «loi de la jungle» en vigueur dans les pays asiatiques, Peter Gade oppose ainsi son modèle danois «affectif et solidaire». A voir donc, si, dans les années à venir, les badistes français viendront accompagner leurs cousins danois sur les podiums.
Source : Liberation